Situation initiale, élément déclencheur, adjuvant, situation finale… Ces concepts vous sont sans doute familiers. Ils me plongent dans mes souvenirs du primaire, où nous analysions les contes de Perrault en utilisant ce schéma. Problème : je n’ai jamais réussi à appliquer cette structure à la création de mes propres récits. Jusqu’au jour où une scénariste m’a parlé de la méthodologie “Save the Cat” de Blake Snyder. 

Mille histoires, une seule recette

En 2005, le producteur et scénariste Blake Snyder publie “Save the Cat!: The Last Book on Screenwriting You'll Ever Need” , un “manuel” qui va devenir une référence dans le secteur avec trente-quatre réimpressions. Snyder décompose une centaine de films à succès en 15 étapes qui incluent des éléments classiques (division en trois actes, schéma du voyage du héros) et … d’autres éléments classiques dotés de noms évocateurs (“bad guys close in”). Rien de révolutionnaire, mais redoutablement efficace.

Et les scénaristes ne sont pas les seuls à raconter des histoires. Il paraît même que les écrivains soient arrivés avant eux. Une productrice de cinéma reconvertie à l’écriture de romans, Jessica Brody, a donc livré en 2018 une version dédiée aux écrivains, intitulée sans surprise “Save the Cat! Writes a Novel”. C’est sur ce livre qu’est basé l’article, et j’en recommande la lecture. Il n’a pas été traduit en français mais le ton simple et drôle le rend accessible aux lecteurs occasionnels de la langue de Shakespeare. 
Sortez vos crayons de couleurs et vos règles, ça va structurer !

Acte 1 : Le monde d’avant

Commençons par mettre notre héros sur le papier. Pour le (ou la !) dessiner il faut définir trois dimensions : une volonté (ce dont le héros croit avoir besoin), un besoin (ce dont il a vraiment besoin) et une tension (ce qui l’empêche d'accéder à son vrai but). Alerte divulgachage : à la fin de l’histoire, le héros doit être passé du monde des faux besoins à celui du vrai épanouissement - ou au moins être en route.

  1. Image d’ouverture : Un visuel de notre héros avant le début de ses aventures.
  2. Évocation du thème : Un autre personnage que le héros donne un indice sur la leçon de vie que doit apprendre le héros - qui commence par l’ignorer.
  3. Installation : Montre la vie et les défauts du héros, et suggère que des changements sont nécessaires.
  4. Élément déclencheur : Il doit être suffisamment important pour que le héros ne puisse pas revenir à son monde d’avant.
  5. Débat : Le héros se demande quelle suite donner à l’élément déclencheur, et on comprend sa résistance au changement.

Acte 2 : La promesse du roman

L’acte 2 est l’antithèse de l’acte 1, un monde inversé où le héros s’épanouit… ou galère. C’est la partie la plus costaude du roman, et celle où l’auteur déploie ce qu’il a promis à ses lecteurs (des combats au sabre laser ou un amour médiéval interdit).

  1. Transition vers l’acte 2 : Le héros réalise une action qui l’entraîne dans le nouveau monde du récit.
  2. Histoire B : Introduction d’un personnage qui va aider le héros à comprendre son thème. Il s’agit souvent de la figure du mentor, mais cela peut aussi être un ennemi !
  3. Faites vos jeux : Les aventures du héros dans ce nouveau monde, et le coeur du récit.
  4. Milieu : Le milieu du récit, mais surtout l’occasion d’augmenter la mise par une fausse victoire ou une fausse défaite du héros. L’histoire A (l’intrigue des évènements extérieurs) et l’histoire B (la leçon du héros) doivent se croiser.
  5. Les méchants se rapprochent : Si l’étape précédente était une fausse victoire, les choses vont empirer pour le héros, et vice-versa. Les méchants peuvent être des forces externes ou internes au héros.
  6. Tout est perdu : Tout est dans le titre - c’est le point le plus bas de l’aventure.
  7. Sombre nuit de l’âme : Le héros prend un pause et réfléchit. C’est souvent avant l’aube qu’il réalise - enfin - la leçon qu’il doit apprendre.

Acte 3 : Tout est réglé  

Thèse, Antithèse, Synthèse : et si écrire un roman n’était pas si loin d’une dissertation de philo ? Dans l’acte 3, le héros complète son voyage intérieur (histoire B) en plus de boucler l’intrigue (histoire A).

  1. Transition vers l’acte 3 : Le héros a tiré les leçons de son aventure.
  2. Final : Le héros prouve qu’il a compris le thème en mettant à exécution un plan, qui commence par échouer.
  3. Image de fin : Image miroir du début qui montre comment le héros s’est transformé.

Fiou, ça fait une sacré liste de commissions ! Mais c’est l’objectif : décomposer le marathon de l’écriture en étapes intermédiaires. Et “Save the Cat! Writes a Novel” fait plus de deux-cent pages. A la fin de la lecture vous maîtriserez les 15 étapes sur le bout des doigts à l’aide de plans pour des romans aussi divers qu’Harry Potter à l’école des sorciers, Misery ou La couleur des sentiments

Cette méthodologie d'écriture : est-ce qu'elle fonctionne ? 

Pour un écrivain en devenir comme moi, oui ! L’étude de ces étapes m’a débloquée pour la structure de mon premier roman. Il reste encore pas mal de trous dans la raquette narrative, mais c’est un excellent outil pour donner du jus (et du squelette) à son intrigue. En acceptant que sa “beat cheat” (son plan) va forcément évoluer au cours de l’écriture.

Je suis moins convaincue par la division en dix genres (de “Amour et copains” à “Super héros”), qui me semble plus forcée. Mais c’est peut-être parce que je n’ai pas encore trouvé le genre de mon histoire. 
Et une petite note nanar pour la fin : en 1989, Blake Snyder a été rémunéré 500 000 dollars pour le scénario d’Arrête ou ma mère va tirer ! une comédie policière où Sylvester Stallone course les méchants avec sa maman gâteau. Vous n’en avez jamais entendu parler ? Normal, le film a fait un bide monumental. Comme quoi les bonnes recettes peuvent garnir la panse sans faire de bons gâteaux…