Ayant eu l’opportunité de solliciter Laure Limongi — écrivaine, éditrice ou encore professeure de création littéraire reconnue en France — je n’ai pas hésité. Voici la seconde et dernière partie de cet échange, par écrans interposés, pour lequel Laure a eu la gentillesse de répondre à mes nombreuses questions. 

Comment devenir auteur aujourd’hui et quelle place accorder aux formations à l’écriture ? Sont-ce des incontournables ? En tant qu’écrivain, quel regard peut-on porter sur le secteur de l’édition actuel ? Dans cette seconde partie, Laure apporte des réponses à ces interrogations que tout auteur en devenir est en droit de se poser. 

Selon vous, comment peut-on devenir auteur aujourd'hui et quelle place tient ou doit y tenir la formation à l'écriture ?  

Je n’ai pas vraiment de réponse, il y a de multiples façons de devenir auteur·ice. Les formations en écriture ne sont qu’une réponse à ce désir, il est vrai fort utile. J’ai travaillé au sein du Master de Création littéraire du Havre (cohabilité par l’ESADHaR et l’université Le Havre/Normandie) pendant six ans. J’en ai longtemps dirigé le parcours Création littéraire. Nous avons toujours été attentifs à proposer une formation d’exigence, tant soit en termes de recherche et de création que pratiques : connectée aux enjeux du présent.

Mon expérience tendrait à dire que ces formations sont un accélérateur bien commode dans une démarche personnelle de création, elles permettent également de commencer à se constituer un réseau – et une communauté d’écriture avec ses camarades de promotion – mais on peut aussi s’en passer, bien entendu. Peut-être est-il plus simple d’accomplir un parcours solitaire quand on est issu d’une famille sensible aux questions de création, voire relativement aisée – avec une bibliothèque fournie à domicile, accès aux musées, théâtres… Ces formations sont donc, aussi, vectrices d’égalité sociale, en permettant à différents milieux de se côtoyer, à des jeunes gens issus de milieux moins aisés de disposer des mêmes chances ; c’est une mission essentielle.

(J’en profite, en parenthèse, pour féliciter et souhaiter le meilleur à mon collègue Frédéric Forte, qui me succède en ce printemps 2020 au Havre, tandis que j’entre en poste à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy.)

Que pensez-vous des différents formats de formation à l'écriture qui existent en France ? Quels sont les avantages de chacun, quels sont les points à améliorer ?

Je n’ai pas de connaissance détaillée de la totalité de ces formations pour pouvoir dresser un bilan précis. Tout ce que je peux dire c’est que j’ai toujours eu des échanges passionnants avec les collègues des autres Masters de Création littéraire de Toulouse, Cergy, Paris 8, La Cambre (en Belgique), Aix-Marseille, Clermont-Ferrand… et que c’est une chance que ces formations se développent – avec cent ans de retard sur les États-Unis, quand même. Je ne pratique d’ateliers d’écriture hors contexte d’enseignement supérieur public que ponctuellement donc je me garderais bien d’énoncer un jugement. 

Tout ce que je peux dire c’est que j’ai adoré, récemment, l’atelier que j’ai donné avec Marie Ferranti à Bastia dans le cadre d’un ambitieux projet mené par la mairie de Bastia, avec l’équipe du théâtre – visant à l’émergence d’une œuvre théâtrale inédite à la suite de cinq ateliers menés par divers·es professionnel·le·s. Ainsi que ma première expérience d’atelier d’écriture dématérialisé – en plein confinement… – avec Les Mots, dont l’équipe adorable est à l’écoute des souhaits de chacun·e dans une démarche de qualité littéraire. À chaque fois, de formidables rencontres avec les inscrit·e·s. On est ému de la confiance témoignée, de ce qui est échangé, de profond, essentiel.

Je pense que quand on souhaite améliorer son écriture dans le cadre d’une formation, d’un atelier, il faut juste prendre le temps de choisir ce qui conviendra le mieux – en terme de contenu mais aussi de temps. Par exemple, il peut être compliqué de se lancer dans un Master quand on est engagé dans une vie active intense et chargé·e de famille : peut-être un ou plusieurs stages, ou bien un accompagnement éditorial, si le manuscrit est déjà bien engagé, conviendront-ils mieux. Il convient bien entendu de se renseigner, en amont, sur la qualité de la formation proposée.

Quels sont les objectifs et les caractéristiques des parcours de formation que vous encadrez ? Quelle est l'audience ? 

Depuis avril 2020, j’enseigne l’écriture et la Création littéraire à l’École nationale supérieure de Paris-Cergy. C’est-à-dire que j’ai commencé ce nouveau poste en plein confinement, dans une situation pédagogique fort inhabituelle, mes premiers ateliers et cours ont donc eu lieu en visioconférence. J’ai trop peu de recul pour vous donner des détails mais je puis dire que mon enseignement s’adressera aux étudiant·e·s de l’école, de l’année 1 à 5, certains de mes ateliers étant ouverts aux étudiant·e·s des Masters de Cergy et Paris 8 – comme l’étaient ceux de François Bon, dont je reprends le poste.

Quel regard portez-vous sur le secteur de l'édition et la chaîne du livre à l'heure actuelle ? 

Je trouve que l’édition française est de grande qualité, les tables des librairies sont pleines de livres réjouissants à découvrir – et j’avoue que c’est ce qui me met en joie chaque matin, quand je traverse ma bibliothèque entre la chambre et la cafetière : je n’aurais jamais assez de temps pour me délecter de toutes ces merveilles. Quel luxe !

Il y a l’écueil de la surproduction, évidemment – cf. « la rentrée littéraire » – pour lequel il faudrait peut-être trouver une solution, afin que la durée de vie d’un ouvrage en librairie soit plus longue donc plus conforme avec le temps de son écriture, le soin apporté par son éditeur pour le défendre… De même que la question du retour pilon quasi systématique, est une aberration écologique – et pourtant, économiquement, les éditeurs y sont, pour l’heure, contraints.

Côté critique, le web a profondément bouleversé la donne économique, les pages livres ont fondu comme neige au soleil, les nouvelles maquettes ont tendance à laisser une large place aux images – et à la publicité –, il y a moins d’émissions de radio et de télévision exclusivement littéraires (au profit du nébuleux « culturel »), de sorte que l’on manque un peu, à mon avis, de diversité de points de vue, permettant à des publications de petits et moyens éditeurs d’être mieux défendues – or, hélas, la pente actuelle, est plutôt celle, générale, de la grande distribution : volons au secours de la victoire (selon le raisonnement : si l’on parle de ce dont tout le monde parle, alors, on vendra davantage car c’est censé intéresser davantage de monde).

Enfin, je précise qu’heureusement, de grands supports de presse résistent tout de même au mouvement ; rien n’est perdu. De surcroît, il me semble discerner un courant de fond dans la société française, vers justement moins d’uniformisation, moins de produits standardisés, qui servira, je l’espère, le travail formidable, essentiel, effectué par les éditeurs vertueux depuis si longtemps, des irréductibles indépendants (tels Monsieur Toussaint Louverture, Tristram, Le Nouvel Attila, L’Attente, Laurence Viallet, L’Ogre, Quidam… plus P.O.L. et Verticales certes à présent affiliés au groupe Gallimard mais conservant leurs choix… et pardon aux ami·e·s que j’oublie forcément !) aux éditeurs et éditrices œuvrant au sein de grands groupes comme mon éditrice chez Grasset, Juliette Joste, fidèle à ses goûts et engagements littéraires.

J’ai l’impression que le confinement, cette épreuve qui nous a laissés face à nous-mêmes – quand nous avons eu la chance de ne pas subir des conséquences lourdes, des deuils – a créé un déclic chez pas mal de gens : revenir à l’essentiel. Donner du sens au peu de temps que nous avons à passer sur cette terre, du sens pour soi, mais aussi en interaction avec les autres (on en parle beaucoup dans l’agroalimentaire, par exemple : consommer local, éthique, durable). Chacune de ces sensibilités aux prises avec le miroir de la solitude a ainsi pu se rendre compte du rôle essentiel de l’art, de la littérature, en ces temps de manque (pour paraphraser Hölderlin[1]) : littérature à la fois vectrice de sentiments universels et sachant s’adresser à chaque conscience. D’où la nécessité d’une diversité de création, d’une exigence dans l’expérimentation des formes.

[1] « Wozu dichter in dürftiger zeit. »

Une maison d'édition à recommander ? Une librairie indépendante à recommander ?

Pardon de me répéter mais de mon point de vue, donner des conseils généraux en la matière n’a pas de sens, car les maisons d’édition ont des lignes différentes, c’est tout l’intérêt. Donc tel manuscrit qui aurait tout intérêt à être lu à L’Olivier ne trouvera sans doute pas d’écho chez Sarbacane, ou tel autre chez Actes Sud et aux Presses du Réel. Ce qui importe, c’est de renseigner précisément sur les publications des maisons d’édition à qui l'on souhaite envoyer son manuscrit.

Les librairies indépendantes, il y en a tant que j’aime d’amour ! Là encore, je vais me rendre coupable de terribles oublis – je m’en excuse – et vivant la majeure partie du temps à Paris, mes adresses parisiennes sont forcément plus importantes, mais ruez vous chez : L’Écume des pages (Paris), Le Monte-en-l’air (Paris), Atout-Livre (Paris), La Petite Egypte (Paris), Les Cahiers de Colette (Paris), Michèle Ignazi (Paris), Charybde (Paris), L’Atelier du XXe (Paris), La Machine à Lire (Bordeaux), Mollat (Bordeaux), La Galerne (Le Havre), la Librairie du Boulevard (Genève), L’Odeur du temps (Marseille), L’Histoire de l’œil (Marseille), A Piuma Lesta (Bastia), La Marge (Ajaccio), Le Passage (Alençon), Ombres Blanches (Toulouse), La Femme Renard (Montauban)…

Laure Limongi, écrivaine, est née à Bastia, elle vit et travaille entre Paris et la Corse. Sa prédilection pour les mots, l’expression s’exprime à travers différents gestes, différents supports. En tant qu’autrice, elle a publié, depuis 2002, une douzaine de livres entre roman, poésie et essai, tels : J’ai conjugué ce verbe pour marcher sur ton cœur (L’Attente, 2020), On ne peut pas tenir la mer entre ses mains (Grasset, 2019), Anomalie des zones profondes du cerveau (Grasset, 2015), Indociles (Léo Scheer, 2012). Elle réalise des conférences performées en écho à l’univers de ses ouvrages. En tant qu’éditrice, elle a dirigé les collections « & » chez Al Dante (2001-2003) et « Laureli » chez Léo Scheer (2006-2012) et a ainsi publié une soixantaine de livres. En tant que professeure : avant d’enseigner à l’ENSAPC, elle a codirigé pendant six ans le Master de Création littéraire du Havre (ESADHaR-université du Havre). www.laurelimongi.com