Si vous écrivez, on vous a peut-être déjà posé cette question. Elle semble simple, même sympathique. Détrompez-vous…

Une amie avec laquelle j’avais partagé le synopsis à trou qui me sert de fil narratif m’a mis (malgré elle) à l’épreuve d’y répondre. Cela l’aiderait à me faire des retours, car elle sentait que le projet avait beaucoup évolué depuis nos derniers échanges (elle avait raison), et elle voulait s’assurer que je ne m’étais pas perdue en cours de route.

Ma première réaction fut la colère. Oui, j’ai une susceptibilité totalement exacerbée et injustifiée. « Ça ne se fait pas ! » Avais-je envie de m’exclamer. « La réponse est pourtant évidente, c’est parce que… »

… Je ne peux pas répondre à la question qu’elle m’énerve. Si j’avais la réponse, je ne passerais pas plusieurs dizaines de minutes par jour à aligner les signes noirs sur fond blanc. Et certainement pas sur un projet aussi byzantin, où j’essaie de mettre en orbite une tortue, la divination, des dieux oubliés, la data science et le deuil. C’est beaucoup, je sais. Et encore, j’ai déjà laissé des éléments de côté : la version précédente s’achevait sur un tête à tête dans les égouts parisiens avec un immense bébé en or qui contenait toute la connaissance du monde sous ses paupières. Enfin, on ne sait jamais, il peut toujours refaire surface. 

Cette histoire, je la raconte parce qu’elle touche à l’intime, à mon inexpliqué. Parce qu’elle brasse des thèmes tellement personnels et douloureux que jamais je ne les listerais dans un mail pour demander avis et approbation. J’ai besoin de l’art pour subli-

Quelle est cette lumière rouge aux limites de mon champ de vision ? Zut, l’alarme « boloss des belles lettres » s’est mise en marche. Donnez-moi une seconde pour l’éteindre et je reviens. 

C’est bon, Rilke a quitté la pièce ? « Si tu peux vivre sans écrire, n’écris pas », n’importe quoi. On peut très bien vivre sans écrire - c’est même sans doute un grand privilège que de pouvoir écrire. On choisit d’écrire.

Dans l’apostille au Nom de la Rose, Umberto Eco écrit que les lecteurs dévorent les romans policiers, non pas pour le triomphe de l’ordre moral qu’induit la résolution de l’intrigue mais parce qu’ils nous donnent l’illusion que les événements ont un sens, ou en tout cas qu’ils suivent une logique. 

Ecrire, c’est organiser. Un bon roman donne l’impression de tirer une longue pelote de laine, horriblement emmêlée, pour en faire un fil long qui va de A à B. Ok, cette image n’est pas très attrayante : disons un joli pull dans lequel se lover les longues soirées d’hiver ? 

C’est vraisemblablement le point sur lequel mes aiguilles trébuchent. Mais ce n’est pas grave, car j’écris pour une autre raison, que le mythe de l’auteur très-malheureux-et-torturé obscurcit souvent : parce que ça m’amuse de donner forme à mes obsessions. 

J’ai simplement besoin d’une feuille et d’un crayon, ou plutôt d’un ordinateur pas trop déchargé. Et j’ai mon monde. Je suis libre de faire ce que je veux. Je peux associer mes passions les plus bizarres avec les remarques les plus anodines. Me mettre dans la peau d’ennemis jurés, rire à mes propres vannes. 

Dans le Chemin de l’artiste, Julia Cameron défend l’idée du « jeu sérieux ». S’amuser avec tout ce que l’on a. On est sérieux, oui, aussi sérieux que Rilke. Mais on ne se prend pas au sérieux. On explore, on tombe pour repartir de plus belle, le genou égratigné mais le sourire aux lèvres. 

On aura le temps de souffrir plus tard, à la relecture, quand l’histoire ne boucle pas, quand on nous fera des retours vraiment négatifs. En attendant, c’est vrai qu’il ne faut pas oublier pourquoi on écrit. 

Pourquoi je veux raconter cette histoire ? 

Parce que j’ai envie de la lire.